Critique Conann : la barbarie par les yeux de Bertrand Mandico

Published 2024-02-16 00:00:00

Avec son troisième long-métrage Conann, le réalisateur français Bertrand Mandico (Les Garçons sauvages) nous plonge littéralement dans les enfers. Il fait de la barbarie le centre de son film, en l’insérant dans un récit à la fois mythologique et politique. Une destruction par la violence, un cheminement par anéantissement de Conann, la barbare… 

Dès la première séquence de Conann, le style cinglant et sanguinolent de Bertrand Mandico s’impose au sein d’une image fortement esthétisée. Des murs argentés et caverneux ondulent sous des jeux de lumière et encerclent les personnages. Les reflets se déplacent, ces enceintes étriquées semblent couler et respirer. La chair est centrale, la douleur encore plus, la mort, omniprésente. 

© UFO Distribution© UFO Distribution

Immédiatement, Mandico nous fait entrer dans les enfers qu’il rend palpables et terrifiants. Les personnages eux-mêmes respirent l’effroi, à l’instar de Rainer, un démon cynocéphale interprété par l’actrice mythique de Mandico, Elina Löwensohn. Son aspect mi-homme mi-chien trouble et effraie. Il attire la mort et la destruction à lui, cherchant continuellement la douleur de l’autre : “Je veux sentir plus de souffrance”. L’ambiguïté de ce personnage ponctue l’ensemble du récit. Il est à la fois l’amoureux délaissé, le paparazzi de la mort – qui fige éternellement dans ses photos les corps morts, transformant la barbarie en œuvre d’art, en spectacle – et l’orateur cynique dont les phrases sonnent comme des prophéties. 

Une histoire de la barbarie 

Conann est née dans des temps anciens, à une époque où la barbarie est la constitution même de la société. Alors qu’elle n’a que 15 ans, elle subit un traumatisme qui la changera à tout jamais : sa mère est sauvagement assassinée sous ses yeux. De ce meurtre naitra sa volonté de vengeance et de destruction. Réduite à l’esclavage, elle se soulèvera et anéantira ses exploitantes pour devenir la plus barbare de toutes.

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A travers la vie de Conann, Bertrand Mandico dresse une généalogie de la barbarie humaine qui se décline sous différentes facettes selon les époques. Il souhaite “faire un état des lieux de la barbarie”. Il ancre ainsi son récit dans un discours éminemment politique en abordant de manière plus ou moins directe la guerre, la corruption, le capitalisme. Mandico donne naissance à des scènes malsaine où la sadisme de Conann éclate au grand jour. Elle broie dans un bain de sang ceux qui se dressent sur son chemin. Accrochée à elle, on traverse ainsi les ères et les millénaires…

Conann, un être sous métamorphose 

Conann, présentée à des âges distincts, se métamorphose. Incarnée par six actrices aux charismes authentiques – Claire Duburcq (Conann 15 ans), Christa Theret (25 ans), Sandra Parfait (35 ans), Agata Buzelk (45 ans), Nathalie Richard (55 ans) et Françoise Brion (Conann Reine et morte) – son corps comme sa volonté se transforment. Bien que ses actes soient continuellement motivés par la violence et la transgression, ses idéaux et désirs évoluent pour parfois entrer en contradiction les uns avec les autres. Elle incarne de cette manière “le comble de la barbarie : la vieillesse qui tue sa propre jeunesse”. 

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Les six actrices proposent ainsi des interprétations dissemblables qui se complètent. Les Conann qui se succèdent sont toujours plus omnipotentes. Elles s’ancrent dans leur réalité pour mieux en faire ressortir les vices, la cruauté et la bestialité. Une montée en puissance qui glace et horrifie. Conann est hors des limites, son impétuosité se déchaîne, elle dévore pour être à son tour ingérée et devenir à tout jamais “la mort vengeresse de l’enfer”.

Une image qui respire et déchire

Mandico ne fait pas dans la délicatesse. Il multiplie les scènes et les gros plans trashs, s’amusant à filmer une réalité brute et sensible. Sur la pellicule 35mm, le sang dégouline, les corps explosent, les organes se vident et se déversent sur le sol. Les bruitages, entre réalisme et surréalisme, décuplent les effets de l’image. Le son devient lui aussi stylisé, en proie à un imaginaire non-conventionnel. Bertrand Mandico étaye son univers jusqu’à son paroxysme, il joue sur les sens, la corporalité, la sexualité. 

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Malgré ce style extrêmement poussif et jouissif, Conann est un film sensible, qui parle de l’être humain, de sa démence, de sa force d’(auto)destruction, mais aussi de l’amour. Contre toute attente Mandico présente une sorte d’intermède à la douleur et à la barbarie. En ancrant la troisième partie du film dans le Bronx à la fin des années 90, il nous amène dans une époque plus proche de la nôtre. Conann y est plus apaisée, portée par son amour pour Sanja (Julia Riedler). L’image est elle aussi moins nébuleuse et enfumée, elle offre un moment de répit, aux spectateurs comme à ses personnages. 

Avec Conann, Bertrand Mandico est au sommet de son art. Il manipule à la perfection son cinéma pour créer un récit et une atmosphère dont il est le seul à détenir le secret. Un film barbare frissonnant… 

Conann de Bertrand Mandico est à découvrir au cinéma à partir du 29 novembre.

Avis

Conann est film barbare, tant dans le fond, que dans la forme. Le réalisateur français Bertrand Mandico signe une œuvre d'une grande violence, où la cruauté régit chaque scène. L'esthétique de l'image nous entraine dans les tréfonds de l'enfer. Les surimpressions se multiplient, le noir et blanc envoute, le son terrifie. Tout est fait pour nous faire ressentir... Conann la barbare se livre à nous.

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Source : linfotoutcourt.com

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